Des diplomates russes multipliant les visites au Rwanda ou au Soudan, le directeur de Gazprom signant des contrats en Algérie et au Ghana, des instructeurs militaires entraînant les forces centrafricaines … Il n’y a plus à en douter : la Russie est de retour en Afrique !
« Mon travail consiste à assurer la sécurité nationale. J’aide à rétablir l’armée, la police et toutes sortes de questions concernant la sécurité nationale », cette déclaration émane de Valery Zakharov, conseiller de Faustin-Archange Touadéra, président de la République centrafricaine. Il est alors interviewé par la chaîne qatarie Al Jazeera au cours d’un reportage diffusé le 14 avril 2019, où l’on voyait des militaires russes entraîner les forces armées centrafricaines, afin de garantir la sécurité du pays.
Un cadeau de 20 milliards de dollars
Cela n’a échappé à aucun spécialiste de la géostratégie internationale, la Russie semble vouloir reprendre pied en Afrique. Après la France, les États-Unis, la Chine, cette nouvelle puissance s’intéresserait au continent africain, attirée par les richesses du sous-sol et par le potentiel économique et démographique du continent.
Mais en réalité, la Russie est tout sauf une nouvelle venue dans le jeu africain. Du temps de l’URSS, elle avait été active lors de nombreux conflits, notamment en Angola ou au Mozambique, et avait noué de nombreux partenariats de développement avec entre autres l’Égypte ou le Maroc. Mais avec l’écroulement du bloc soviétique, la Russie avait dû se résoudre à réduire drastiquement ses activités africaines.
Son retour sur le continent il y a quelques années a d’abord pris la forme de gestes de bonne volonté. Ainsi en 2009, la Russie a annulé 20 milliards de dollars sur la dette de 25 milliards de dollars que l’Afrique avait contractée vis-à-vis de Moscou.
30% des réserves en matières premières stratégiques
Tout comme les États-Unis, la Chine ou la France, la Russie est attirée en Afrique par les perspectives commerciales liées aux formidables ressources du continent. Le sous-sol africain détient ainsi près 7,6 % des réserves mondiales de pétrole, 7,5 % des réserves en gaz naturel, entre 80 et 90 % des réserves en chrome et platine et, plus généralement, près de 30 % des réserves en matières premières stratégiques.
Avec une forte présence sur le territoire russe et une expertise avérée dans l’extraction des matières premières, il ne fait aucun doute que de grands patrons ayant déjà assis leur présence sur le territoire russe vont tôt ou tard s’intéresser au continent. Certains, comme Iskander Makhmudov (UMMC et Transmashholding), Alexeï Miller (Gazprom) ou encore Vagit Alekperov (Lukoil) ont déjà mis en place des partenariats et actions sur le continent.
Sur l’horizon morose de la croissance européenne et d’un ralentissement de la croissance chinoise, les perspectives économiques africaines, portées par la forte poussée démographique du continent, constituent un véritable eldorado. La Russie, qui dispose d’un surplus de liquidités grâce à ses exportations de gaz et de pétrole, compte bien en profiter. Ainsi une société russe d’aluminium a-t-elle commencé à exporter de la bauxite de Guinée, une autre a signé un accord avec l’Angola pour l’extraction de diamant, une société pétrolière russe a obtenu deux concessions d’exploitation de gaz off-shore au Mozambique.
Un investissement russe principalement axé sur l’énergie et les transports
Sur le plan économique, les investissements russes sont dans les faits principalement axés sur l’énergie. Les compagnies d’électricité russes Lukoil (pétrole), Gazprom (gaz) et Rosatom (énergie nucléaire) sont déjà actives sur tout le continent, la plupart des activités se situant en Ouganda, au Nigeria, en Égypte, en Angola et en Algérie. Certaines, comme Kuzbassrazrezugol (une organisation minière et une société dans laquelle Iskander Makhmudov détient des participations), sont déjà exportatrices mondiales et pourraient très bien viser à pénétrer le marché africain à l’avenir.
D’autres, comme Transmashholding (une société spécialisée dans la livraison de matériels de chemins de fers dans laquelle Iskander Makhmudov détient également des intérêts), ont déjà noué des partenariats en Egypte (contrat pour la fourniture de 1300 wagons pour voyageurs avec la compagnie nationale de trains Egyptienne) et l’Afrique du Sud (avec l’ouverture d’une usine de production dans la ville de Boksburg).
Ce ne sont là que quelques exemples. La Russie multiplie les contrats de partenariat sur tout le continent. Des contrats qui doivent aboutir à un partenariat gagnant-gagnant entre les Etats africains et la Russie.
Les Africains sur la question russe
Reste à savoir ce que les Africains pensent eux-mêmes de ce retour de la Russie sur leur continent. Pour Thierno Ba Demba Diallo, président de l’Institut africain de négociation appliquée, la présence de la Russie peut-être un contrepoids positif à la présence d’autres puissances. «Pendant longtemps, on s’est emprisonné dans le pré carré français […] Aujourd’hui, si la France veut continuer de travailler avec l’Afrique, c’est à elle de s’adapter aux conditions de l’Afrique, aux conditions de la Chine, aux conditions de la Russie»., affirme-t-il.
Beaucoup de dirigeants africains pensent aussi que la présence de la Russie leur permettra de pouvoir mieux préserver les intérêts du continent en jouant de la compétition entre les grandes puissances. Pour d’autres, tel le président du Sénégal Macky Sall, l’Afrique doit prendre en charge sa sécurité aussi bien militaire qu’économique, afin d’avoir la garantie que ses richesses lui bénéficient en priorité.