Le procès Pistorius est sans doute l’une des affaires les plus médiatiques de ces dernières années. Tous les ingrédients sont réunis : un accusé célèbre, une victime admirée pour sa beauté et sa gentillesse, l’absence de preuve. Mais aussi et surtout, la chute brutale d’une idole planétaire.
Londres, dimanche 5 août 2012, le stade olympique est en liesse après l’arrivée de la deuxième demi-finale du 400 mètres. Les 80 000 spectateurs qui se lèvent, n’ovationnent pas le vainqueur, Kirani James, mais celui qui vient de passer la ligne bon dernier. Oscar Pistorius, vit là son plus grand jour de gloire. « Je suis béni des dieux » avait-il proclamé quelques mois auparavant en décrochant sa qualification pour les Jeux Olympiques. Oscar Pistorius venait d’entrer dans la grande histoire du sport en devenant le premier athlète handisport à pouvoir défier les valides dans l’épreuve mythique des JO.
Mortelle Saint Valentin
Pretoria, jeudi 14 février 2013, quatre coups de feu dans la nuit de la Saint Valentin. La nouvelle fait l’effet d’une bombe. Oscar Pistorius est accusé du meurtre de sa petite amie, le mannequin Reeva Steenkamp. Six mois à peine après avoir côtoyer les dieux de l’Olympe, celui que l’on surnomme « blade runner », en référence à ses prothèses, est en train de devenir « bad runner ».
« Béni des dieux », Matthew Pryor, journaliste anglais qui réalisera le documentaire, « The fastest man on no legs », n’est pas loin de le penser. En septembre 2004, il couvrait les jeux paralympiques d’Athènes pour le « Times ». Ce jour là, pour la demi-finale du 200 mètres, le stade est assoupi. La chaleur de l’été grec et l’anonymat des concurrents ne favorisent guère la passion. Oscar Pistorius est alors un inconnu. Un adolescent un peu gauche et timide qui semble terriblement impressionné par le décor. Mais quand le starter résonne, tout change. Le temps s’arrête. Oscar Pistorius vole au-dessus de la piste. Pour Matthew Pryor, c’est l’une des plus grandes émotions de sa vie de reporter.
Amputé à onze mois
L’histoire fera rapidement la une de tous les journaux. Celle d’un enfant né sans péroné et condamné à vivre invalide. Alors qu’il n’a que onze mois ses parents décident de le faire amputer. Il n’existe pas d’autres solutions pour échapper au fauteuil roulant. Oscar Pistorius pourra se déplacer à l’aide de prothèses. Eduqué dans l’idée qu’il ne devait pas s’apitoyer sur son sort, Oscar Pistorius va alors entamer un combat sans relâche afin de prouver au monde qu’il est comme les autres. Son terrain de conquête sera le sport. D’abord avec son frère et sa sœur, ensuite avec les autres enfants de son quartier. Et enfin en compétition, il s’essaiera au football, au tennis, à la course à vélo et au rugby sport national dans son pays, l’Afrique du Sud. C’est d’ailleurs en jouant au rugby qu’il va se broyer le genou. Il doit alors s’arrêter et suivre une rééducation. Quand il se présente à nouveau sur un terrain, on lui fait comprendre que le rugby lui est dorénavant interdit. On lui conseille l’athlétisme. Quelques semaines seulement après avoir foulé pour la première fois le tartan d’une piste, Oscar Pistorius deviendra champion paralympique.
Beau, riche, courageux
Très vite, le jeune athlète handisport devient l’un des sportifs les plus admirés dans son pays. Noirs et blancs se reconnaissent dans ce jeune homme qui a su triompher de l’adversité. Lorsque, le 16 août 2008, le Tribunal arbitral du sport, autorise Oscar Pistorius à concourir avec les athlètes valides, c’est une gloire bien différente qui attend le jeune champion. Oscar Pistorius, va passer en quelques semaines, du rang d’icône nationale à star planétaire. Il devient l’égal de quelques rares champions, acteurs ou chanteurs. Thierry Mugler va le choisir comme l’emblème de son parfum « Angel ». Beau, riche, courageux, admiré, Oscar Pistorius est au fait de sa gloire lorsqu’il rencontre Reeva Steenkamp, quelques mois plus tard. Ils forment l’un des couples les plus célèbres et glamour. Reeva Steenkamp est mannequin, ambassadrice des cosmétiques Avon, élue par le magazine FHM comme l’une des 100 femmes les plus sexys du monde. Elle est aussi actrice. Au moment de sa rencontre avec Oscar Pistorius, elle termine des études pour devenir avocat.
La fin du conte de fée
La nuit du 14 février met un arrêt brutal à ce conte de fée. Le procès qui s’ouvre plus d’un an plus tard, le 3 mars 2014, fait apparaître un homme possessif, violent, obsédé par son image, vivant dans la terreur de l’agression. Bien loin du champion idéal que l’on voit poser, avec ses fameuses prothèses, à coté d’un guépard pour les besoins d’une publicité. Le destin du champion prend alors le visage d’un drame Shakespearien. Celui d’un homme en lutte avec son ombre dévastatrice.
Car ce sont bien les deux faces d’un même homme qui s’opposent lors du procès. Barry Roux, l’avocat choisi par Oscar Pistorius, l’un des ténors du barreau sud-africain, va s’attacher à préserver intacte l’image du champion. C’est un homme intègre, profondément amoureux de Reeva Steenkamp, engagé dans la lutte pour venir en aide aux handicapés d’Afrique, dont il dresse le portrait. Un homme qui a été le jouet d’une terrible méprise. Depuis le début de l’affaire, Oscar Pistorius nie avoir tiré volontairement sur Reeva Steenkamp. Il plaide la légitime défense. Les coups de feu partis de son Parabellum 9 mm, étaient destinés à un cambrioleur qu’il croyait avoir entendu s’introduire dans sa maison. La thèse est plus que plausible dans un pays ravagé par la violence. Les statistiques sont en la matière, effrayantes : 64 000 cas de viol par an, 15 000 meurtres. Plus d’un Sud-africain sur dix possède une arme et se déclare prêt à l’utiliser en cas de violence.
« Tu me fais peur »
Mais depuis le début de l’affaire, cette thèse est battue en brèche par l’accusation. Dès le lendemain du drame, Oscar Pistorius est inculpé du meurtre de sa petite amie avec préméditation. Au cours d’un contre-interrogatoire d’une rare violence, le procureur Gerrie Nell fera le portrait d’un autre Oscar Pistorius. Un homme agressif qui n’hésite pas à attaquer ceux qui se dressent en travers de son chemin. Un jour, il menace de briser les deux jambes d’un homme qui, selon lui, s’approche trop prés de sa compagne. L’athlète est obsédé par sa réputation. Un soir alors qu’il vient de décharger par accident un pistolet en plein restaurant, il demande à un ami de porter le chapeau. Il est habité par un sentiment de toute puissance. On le surprend roulant à toute vitesse dans les rues de Pretoria en tirant au pistolet par le toit ouvrant de sa voiture. Il cultive la passion des armes à feux. Au moment des faits, il venait de commander un fusil d’assaut, deux fusils à pompe, une carabine, deux revolvers Smith&Wesson.Il a la gâchette facile et se montre toujours avide d’en découdre. Dans un de ses tweets, il déclare que « rien ne vaut la sensation de rentrer chez soi, d’y sentir la présence d’un intrus et de se glisser à l’intérieur en mode close-combat ». Enfin, Oscar Pistorius effraie même sa petite amie. Dans un message, Reeva Steenkamp se plaint d’être agressée constamment par la jalousie du champion. « Tu me fais peur », lui écrit-elle.
Des cours de théâtre pour préparer le procès
Complétant ce portrait, le procureur s’attaque aussi à l’image du couple modèle. Il rappelle le témoignage d’une voisine qui a entendu le couple se disputer une heure avant le drame. Il s’appuie de plus sur les déclarations d’autres voisins qui ont entendu Reeva Steenkamp crier après le premier coup de feu. « Pourquoi avoir tiré quatre coups de feu ? » interroge alors Gerrie Nell. « Les dépositions sont pleines de mensonges » répond un Oscar Pistorius en larmes, qui va vomir plusieurs fois au cours de l’audience. Pour Gerrie Nell le doute n’existe pas, après une violente dispute avec Reeva Steenkamp, Oscar Pistorius a tiré sur sa petite amie, à travers la porte de la salle de bain, dans l’intention de la tuer.
Toutes ces révélations ont brouillé l’image du champion modèle. Un journal sud-africain a révélé qu’Oscar Pistorius aurait pris des cours de théâtre afin de préparer son procès. Signe de cette désaffection, les sponsors d’Oscar Pistorius, dont Nike et Thierry Mugler, ont mis un terme à leur contrat.
« Blade runner », « bad runner »… La décision est maintenant entre les mains de la juge Thokozile Masipa, première femme noire juge en Afrique du sud. Dans un procès où aucune preuve ne pourra être établie, c’est sur son intime conviction que va se jouer le destin d’Oscar Pistorius. Début mai, après plusieurs semaines d’interruption d’audience, la juge Thokozile Masipa a ordonné une contre-expertise psychiatrique. Il s’agit d’établir l’état mental d’Oscar Pistorius au moment des faits. Si les examens établissent qu’il souffrait d’anxiété généralisée, il pourra être tenu comme pénalement irresponsable. Il sera alors interné. S’il est jugé responsable, deux issues s’offrent à lui. La juge estime qu’il existe des éléments de doute raisonnables, elle acquitte alors Oscar Pistorius. Sinon, le champion sera condamné à 25 ans d’emprisonnement sans aménagement de peine. Le procès a repris le 30 juin.
Tout avec ce personnage semble être marqué par le destin. Sportif handicapé, star africaine blanche, ascension fulgurante et chute vertigineuse.