La Maison des esclaves sur l’île de Gorée au Sénégal, la Porte du non-retour à Ouidah au Bénin, l’ancien port négrier de Bimbia au Cameroun ou encore les forts ghanéen de Cape Coast et Elmina, les haut-lieux du tourisme mémoriel en Afrique de l’Ouest cherchent à redorer leur blasons pour attirer davantage de touristes. Ce tourisme particulier, qui invite à visiter les endroits où se sont déroulés des épisodes douloureux de l’histoire d’une nation (traite négrière, guerre ou génocide), permet à la fois de ne pas faire sombrer le passé national dans l’oubli et de générer potentiellement des gains économiques non négligeables. Dans la course au tourisme mémoriel, le Sénégal tire son épingle du jeu face aux autres pays de l’Afrique de l’Ouest.
Le Sénégal à l’avant-garde du tourisme mémoriel
Avec l’île de Gorée et l’île de Saint-Louis inscrites au patrimoine mondial de l’UNESO depuis 1978 et 2000, le Sénégal a su valoriser son patrimoine historique et culturel pour se placer à l’avant-garde du tourisme de mémoire en Afrique de l’Ouest.
Comptant plus de 836.000 touristes enregistrés au Sénégal en 2014, le pays a su en effet développer son potentiel touristique, y compris pour les hauts-lieux de la traite négrière. Les îles de Gorée et de Saint-Louis, aux paysages paradisiaques et à l’architecture pittoresque, sont également tristement célèbres pour avoir été les centres névralgiques de la traite atlantique.
Si l’esclavage a été aboli avec le décret du 27 avril 1848, l’île de Gorée est devenue une plaque tournante du commerce d’esclaves dès le XV siècle, et l’île de Saint Louis à partir du milieu du XVII siècle. Les vestiges de l’esclavage sont bien présents, et la Maison des esclaves sur l’île de Gorée accueille environ 500 visiteurs par jour d’après le ministère de la Culture sénégalais. Le Sénégal a donc pleinement pris conscience des gains économiques que pouvait générer le tourisme de mémoire.
Le tourisme mémoriel boosté au Ghana grâce à Barack Obama
Le Ghana se place en deuxième position grâce à ses comptoirs fortifiés se trouvant entre Keta et Beyin, également classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979. Les châteaux de Cape Coast et de Saint George d’Elmina, du fait de leur position côtière stratégique, ont été des plaques tournantes du commerce d’esclaves dans la région.
La visite de Barack Obama lors de sa première tournée en Afrique en 2009 a permis d’attirer l’attention médiatique sur ces vestiges de l’époque esclavagiste, et également de doper le tourisme au Ghana avec une hausse de plus de 30 % du nombre de touristes en 2010 (atteignant les 931.000 visiteurs), et un accroissement des revenus du tourisme de 20 %. La publicité de la visite d’Obama a donc eu des retombées économiques non négligeables pour le tourisme national, y compris pour les hauts-lieux de la traite des esclaves.
Le Bénin mise sur la Porte de non-retour
Le Bénin cherche depuis 1996 à inscrire au patrimoine mondial de l’UNESCO la Route de l’esclavage et les quartiers anciens de la ville d’Ouidah, port négrier situé à 40 km de Cotonou, mais le pays aurait récemment égaré le dossier de candidature. De plus, le Bénin planche sur un projet de réaménagement du littoral entre Cotonou et Ouidah, un investissement estimé à 1200 milliards de francs CFA (1,8 milliards d’euros). Un des objectifs du projet est de faciliter l’accès à la Porte de non-retour se trouvant à l’entrée de Ouidah, monument érigé en 1995 à l’initiative de l’UNESCO. Ce lieu cristallise le désespoir des esclaves déportés qui, après avoir été achetés aux enchères par les négriers blancs, faisaient le tour de l’arbre de l’Oubli (9 fois pour les hommes, 7 fois pour les femmes) avant d’être expédié vers le « nouveau monde ». Plus d’un million d’esclaves aurait ainsi quitté l’Afrique depuis Ouidah.
Bimbia, un port négrier à fort potentiel au Cameroun
Pas en reste, le Cameroun souhaiterait valoriser le port négrier de Bimbia qui a été redécouvert en 1987 et classé au patrimoine national camerounais. Encore méconnu, Bimbia aurait en effet le potentiel de devenir un lieu phare du tourisme mémoriel en Afrique de l’Ouest.
Si le village situé à l’ouest de Douala n’accueille pour l’instant qu’entre 200 et 2000 touristes par an, il pourrait bien devenir un sérieux concurrent de Gorée si les autorités déploient les moyens adéquats pour mettre en place les infrastructures touristiques nécessaires (notamment une route adaptée pour accueillir les flux de visiteurs, car à l’heure actuelle le site est difficilement accessible). Bimbia a en effet été une plaque tournante du commerce d’esclaves entre le XVI et XIX siècle : plus de 10 % des 12 millions d’Africains déportés seraient partis de ce port, soit un nombre plus important que depuis l’île de Gorée. Les chaînes des esclaves sont encore visibles sur le site, ainsi que les mangeoires qui servaient à les nourrir.
Bien que le Sénégal ait une longueur d’avance dans l’exploitation du tourisme mémoriel, d’autres pays d’Afrique de l’Ouest tentent également de valoriser leur potentiel avec toutefois une capacité hétérogène à mettre en place les infrastructures nécessaires pour accroître les flux de touristiques vers ces hauts-lieux d’une mémoire nationale douloureuse. Si le Ghana talonne le Sénégal, des investissements supplémentaires restent nécessaires pour que le Bénin et le Cameroun puissent mettre en avant leur passé lié à la traite négrière.