La Communauté d’Afrique de l’Est (East African Community, EAC) confirme ainsi son ambition et franchit une nouvelle étape dans son développement. Après l’accumulation de retards dus à la complexité du projet (la signature de l’accord était initialement prévue pour 2012), la communauté regroupant le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda entérine l’adoption d’une monnaie commune.
L’acte de naissance de l’actuelle EAC a été concrétisé le 7 juillet 2000. S’en est suivi la création d’un marché commun en 2010, assurant la libre circulation des biens, du travail et des capitaux entre ces cinq pays des Grands Lacs, le premier du genre en Afrique. S’étendant sur 1.8 millions de km² pour une population totale d’environ 140 millions d’habitants. Bénéficiant de nombreuses richesses naturelles et d’une démographie dynamique, les cinq pays qui constituent l’EAC disposent des atouts nécessaires pour s’imposer sur la scène continentale. Les bénéfices du marché commun sont d’ailleurs d’ores et déjà visibles. Hausse du commerce transfrontalier, échange de compétences, projets d’investissement et de développement représentent une opportunité certaine pour relancer la croissance économique de ces pays.
Marché commun et croissance économique : un énorme défi
Devant ces réussites, l’adoption d’une monnaie unique marquerait une étape supplémentaire, en plus de la création d’une Union douanière prévue pour cette année. Mais les obstacles sont encore nombreux et le processus long et complexe. Des critères macro-économiques stricts devront être respectés : maintien de l’inflation en dessous de 8%, d’un déficit budgétaire inférieur à 3%, création d’une Banque centrale… Des difficultés qui incitent à la prudence, comme l’a déclaré Christine Lagarde, en visite au Kenya début janvier. « La feuille de route récemment signée pour la mise en place de l’union monétaire de d’Afrique de l’Est est très ambitieuse. Ne vous précipitez pas, prenez toutes les mesures et apprenez des erreurs de l’Europe et d’autres unions monétaires » , a ainsi déclaré la directrice du Fonds Monétaire International (FMI). Une union monétaire peut en effet être source d’inconvénients lorsque les économies des pays membres évoluent à des vitesses différentes. En cas de manque d’homogénéité, certains pays finiraient par avoir un taux d’intérêt inadapté. Quoi qu’il en soit, l’EAC se donne dix ans pour mener à bien ce projet. Un délai très court en comparaison de l’Union européenne qui a mis quarante ans avant de concrétiser un projet similaire.
Shilling est-africain
Tandis que de nombreux européens doutent de l’euro, l’adoption d’une monnaie unique représente, selon Uhuru Kenyatta, une opportunité à ne pas manquer. Pour le président kényan, dont le pays est actuellement à la tête de la présidence tournante de l’EAC, « L’union monétaire va éliminer le coût lié à l’utilisation de plusieurs monnaies, réduire les coûts de transaction », en plus d’attirer les investisseurs étrangers, d’acquérir plus de poids lors des négociations commerciales avec des gros blocs, et de pouvoir aider à faire face à la mondialisation. Le nom de la future monnaie a été d’ores et déjà trouvé : il s’agira du Shilling est-africain. Une monnaie commune déjà pratiquée par l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie lors de la période coloniale. Le « East African Currency Board » maintenait alors le shilling local à parité avec le shilling au Royaume-Uni. Ce shilling est-africain a été abandonné en 1966 lors de la création des banques centrales indépendantes de ces trois pays.
Dépasser les tensions internes
La volonté d’une union étroite entre les pays de l’Est de l’Afrique remonte au début du XXème siècle, lorsqu’une union douanière est conclue entre le Kenya et l’Ouganda en 1917. Plusieurs essais de communauté ont ensuite été tentés au cours du siècle dernier, dont le plus abouti a pris fin en 1977 après dix années d’existence. Mais même si les pays membres se connaissent de longue date, des difficultés apparaissent encore épisodiquement dans leurs relations, compliquant ou retardant l’avancée de la communauté. Ainsi, depuis quelques mois, des tensions internes secouent l’EAC, la Tanzanie et le Burundi reprochant aux trois autres pays d’avoir adopté sans eux des projets d’infrastructures ferroviaires et pétrolières.
Vers l’intégration d’autres pays
Les membres de la Communauté d’Afrique de l’Est devront aussi s’accorder sur les projets d’intégration de pays frontaliers candidats, qui pourraient à plus ou moins long terme rejoindre l’EAC. Soutenu par le Kenya et le Rwanda, le Gouvernement autonome du Sud-Soudan semble le plus probable à brève échéance. De son côté, la Tanzanie appuie les candidatures du Malawi, de la République démocratique du Congo et de la Zambie.
Une ambition fédérale sur le continent africain
D’autres unions monétaires existent en Afrique, telles que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ou la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Mais les ambitions de l’EAC vont encore plus loin et la mise en place de la monnaie unique ne serait que le prélude à la création d’une Fédération d’Afrique de l’Est, un État fédéral rassemblant ses cinq membres en un seul pays. Ce dernier deviendrait alors la troisième nation la plus étendue d’Afrique, sa langue vernaculaire serait le swahili et sa langue officielle l’anglais, et sa capitale la ville tanzanienne d’Arusha, siège actuel de la Communauté est-africaine.
Régulièrement secouée par des conflits et victime d’une instabilité politique chronique, la région des Grands Lacs aurait tout à gagner avec l’instauration d’une monnaie commune. Les bénéfices retirés n’en seraient alors pas seulement économiques, ils pourraient être aussi un préalable à une paix durable.
Très dangereux. Ces pays ne sont pas à un même stade de développement et beaucoup en situation très instables. Certains mêmes n’ont plus de réelles monnaies.