Green Keeper Africa utilise les capacités de la jacinthe d’eau qui envahit les lacs africains pour fabriquer une fibre dépolluante ainsi que d’autres produits dérivés.
Pour les habitants des villages lacustres situés autour du lac Nokoué, à 35 km au nord de Cotonou (Bénin), la jacinthe d’eau est devenue un cauchemar, en particulier pour la pêche, première ressource locale. Cette plante aquatique flottante, originaire du Brésil, se développe en effet à un rythme endiablé. « La jacinthe d’eau est la plante la plus invasive au monde : dix plants peuvent générer 800 000 plants en moins de huit mois », explique au journal Le Monde David Gnonlonfoun, ingénieur dans le bâtiment. Du coup, elle bloque la circulation des bateaux, tue la biodiversité en captant l’oxygène de l’eau, et favorise le paludisme.
Mais la jacinthe d’eau peut aussi se révéler pleine de ressources. C’était le pari de David et de son comparse Fohla Mouftaou, pédiatre belgo-béninois, lorsqu’ils ont monté, en 2014, leur start-up Green Keeper Africa (GKA), en partenariat avec l’entreprise mexicaine Tema, pour utiliser la fibre de jacinthe d’eau pour lutter contre la pollution aux hydrocarbures. Tema a en effet lancé avec succès en 2009, l’usage de cette fibre pour dépolluer les barrages et enrayer les marées noires. La société Tema compte ainsi parmi ses gros clients Pernex, la compagnie pétrolière mexicaine.
Une fibre hyperabsorbante
« La jacinthe d’eau est paradoxale », explique Fohla à RFI. Cette plante a en effet la capacité de filtrer l’eau et constitue un puits de carbone. Mais en quantité excessive, elle se putréfie, libérant des gaz à effet de serre. Grâce à leur nature spongieuse, les fibres de la jacinthe d’eau ou camalote (Eichhornia crassipes), sont hyperabsorbantes. Elles peuvent absorber de quatre à dix-sept fois leur poids, selon la nature du liquide. D’où leur capacité à absorber les fuites d’hydrocarbures tant dans l’eau que sur terre.
Mais ce n’est pas tout. Avec les jacinthes séchées, GKA fabrique aussi des biofertilisants. La plante est en effet riche en nitrates, et fournit donc un engrais naturel de choix pour la production maraîchère locale. « C’est une véritable alternative aux pesticides chimiques qui coûtent cher et dont l’usage abusif tue le sol, explique Fohla. GKA fabrique aussi des aliments pour les animaux, la fleur de jacinthe étant un bon complément alimentaire pour les lapins. Enfin, GKA envisage d’autres débouchés, parmi lesquels la fabrication de serviettes hygiéniques à partir de la fibre, ce qui rendrait accessible et plus abordable ce produit jusqu’ici peu utilisé par les femmes africaines.
12 employés à ce jour
Grâce à cette activité, GKA crée une micro-économie locale, fournissant du travail aux femmes chargées de récolter et sécher les jacinthes. Ce sont aujourd’hui une dizaine de femmes sur la commune de Sô-Ava qui ont été formées pour le ramassage des plantes, qu’elles font sécher sur les berges du lac avant de les conditionner dans des sacs du jute. La plante séchée leur est achetée 200 FCFA (environ 0,30 euros) les 10 kilos. Les plantes sont ensuite traitées dans la bioraffinerie de GKA. La plante est transformée à l’aide d’un broyeur artisanal, sans ajout de produits chimiques.
Green Keeper Africa, qui emploie aujourd’hui douze personnes, a bénéficié du soutien de la société coopérative SENS (Solidarités entreprise Nord-Sud), un fonds d’investissement béninois basé à Dassa.
Et ça marche ! Ainsi Green Keeper Africa a été récompensé en novembre 2015 par un prix décerné par « La France s’engage au Sud »et elle a décroché son premier contrat de nettoyage industriel avec la filiale béninoise du distributeur suisse de produits pétroliers d’Oryx. Et, si le Bénin n’est pas directement producteur de pétrole, les côtes ouest-africaines représentent un important débouché potentiel. « A terme, c’est le marché nigérian que nous visons. Le Bénin est un tremplin pour faire nos preuves », explique David.