La fabrique de ce fil de coton non lavé est un artisanat séculaire qui revit aujourd’hui sous l’impulsion de la Sénégalaise Fatim Soumaré.
Dans la région de Sine Saloum, une zone de terres salées situées au sud-ouest du Sénégal, se trouve le petit hameau de Favil. Ici, le filage artisanal du coton est une tradition séculaire qui se transmet de mère en fille.
Ce coton est un coton dit pluvial, c’est-à-dire qu’il ne nécessite pas d’arrosage. Ainsi il consomme 91 % d’eau de moins que la culture irriguée du coton qui constitue à ce jour le gros de la production cotonnière sénégalaise, et fait vivre à ce jour 50’000 exploitants grâce à l’exportation.
Après l’égrainage, la fibre végétale de coton est peignée entre deux brosses faites de bois et de pics métalliques pour rendre le coton mousseux. C’est le cardage. Les fibres ainsi obtenues sont torsadées et étirées sur un fuseau pour former le fil de coton, que l’on appelle le falé. Ce fil est issu de coton biologique. C’est avec ce falé que les tisserands confectionnent depuis deux siècles le pagne traditionnel porté lors des cérémonies de la communauté indigène, les Sérères. Les Sérères sont, après les Wolof et les Peuls, la troisième ethnie du Sénégal.
Un artisanat en déclin
Hélas, cet artisanat connaît un déclin en raison de l’exode rural, du vieillissement de la population, et de la concurrence du fil industriel. « Dans vingt ans, cette tradition risque d’être perdue car il n’y aura plus de femmes avec ce savoir-faire », se désole Jeanne D’arc Sarr, quinquagénaire de Fayil, formée à ces savoir-faire artisanaux.
Lorsque Fatim Soumaré, 34 ans, découvre cet artisanat lors d’un séjour au Sénégal, son pays de naissance, c’est le coup de foudre immédiat. Elle travaille depuis onze ans dans le monde de la finance en France. Lorsqu’elle rencontre « ces femmes au savoir-faire extraordinaire », elle décide de changer de vie. Fille de commerçante et teinturière de tissus traditionnels, Fatim retrouve sa passion pour les fibres et le textile.
Elle s’installe dans le pays, devient designer textile et crée en octobre 2021 sa marque, Falé. La jeune femme sillonne la région pour inviter les fileuses d’une trentaine de villages d’adhérer à son projet de revalorisation et de sauvegarde du filage traditionnel. « Certains villages ont refusé. Dans d’autres, il ne restait plus que quelques fileuses trop âgées pour s’engager », évoque-t-elle lors d’une rencontre avec le Monde.
Le Falé : artisanat d’art
Elle finit par en convaincre cinq, qui intègrent son collectif de deux-cents femmes et collaborent à sa marque. Son atelier, cofondé avec son mari Laurent Grisel, est situé à Djilor Djidiack, à une heure trente de Favil. Le fil s’y entasse sous forme d’écheveaux aux coloris écru et taupe, destinés à l’export vers deux revendeurs en France. En effet le Falé est trop onéreux pour le marché local, à l’exception de quelques designers locaux. « Contre toute attente, nous avons beaucoup de stock ! », explique Laurent.
Actuellement, l’atelier Falé devient aussi un lieu de création. Quatre artisans-tisserands y réalisent des coussins et tapis à partir du précieux fil. Ils seront mis en vente dans un concept store de Dakar, ou exportés vers Rennes et Lisbonne.
En parallèle, Fatim Soumaré œuvre à valoriser le Falé, produit rare qui est vendu dix à quinze fois plus cher qu’un coton classique. Si ses qualités sont reconnues en Europe, il y a encore beaucoup à faire pour le valoriser au Sénégal. Pour faire avancer cette démarche, elle a choisi de militer en premier lieu pour la reconnaissance de la fabrication du falé comme un artisanat d’art.
Enfin, Fatim Soumaré se sert également de Falé pour explorer de nouvelles matières, comme la fibre végétale de rônier, produite à partir d’un palmier local. « En fait, il existe plein de techniques traditionnelles incroyables auxquelles on pourrait redonner vie », s’exclame la jeune femme.
Photos : lemonde.fr – 19m.com