Le gazoduc Nigéria-Maroc avance en terrain glissant

Auteur 11 avril 2018 0
Le gazoduc Nigéria-Maroc avance en terrain glissant

En mai 2017, Mohammed VI, le roi du Maroc, et Geoffrey Onyeama, le ministre nigérian des Affaires étrangères signaient un protocole d’accord sur la construction d’un gazoduc longeant la côte africaine pour relier le golfe de Guinée à la mer Méditerranée. Les partisans y voient un outil pour favoriser la création d’un marché régional de l’énergie et accélérer l’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest. Toutefois, d’autres s’interrogent sur la viabilité du projet, ainsi que sur son impact social et environnemental ou encore sur de possibles arrière-pensées politiques.

Le gazoduc est le prolongement du « West African Gas Pipeline » qui relie le Nigéria au Ghana via le Bénin et le Togo. Une fois achevé, il devrait s’étendre sur une longueur de 4.000 kilomètres et traverser 12 pays, lesquelles pourront y injecter leur production ou encore tirer du gaz pour satisfaire leurs besoins en énergie. L’infrastructure coûterait dix milliards de dollars mais la facture pourrait être multipliée par deux si l’option offshore était privilégiée. Les porteurs du projet envisagent dans le future de prolonger le gazoduc jusqu’en Europe.

Connecter le plus grand gisement africain au marché européen

L’Afrique de l’Ouest dispose d’importantes ressources de gaz naturel et le Nigéria détient à lui seul 30 % des réserves continentales. Le Ghana et la Côte d’Ivoire possèdent également des gisements importants. De son côté, le Maroc, la porte d’entrée vers les marchés européens, a une position géostratégique privilégiée. Pour mémoire, l’accord sur la construction de gazoduc intervient 15 ans après l’échec d’un projet entre le Nigéria et l’Algérie. Celui-ci avait été abandonné pour des raisons sécuritaires et le risque terroriste est aujourd’hui loin d’être écarté dans la région.

Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères se veut néanmoins optimiste : « Le gazoduc favorisera l’intégration africaine, contribuera à la stabilité, au développement économique et à la création d’emplois ». Les zones traversées rassemblent une population de plus de 300 millions d’habitants. Selon le ministre, il permettra un meilleur accès à l’énergie pour des pays dont une grande partie de la population n’a pas accès à l’électricité. Le gazoduc est un des rares projets de coopération Sud-Sud sur un continent où les volumes d’échanges commerciaux intérieurs restent faibles.

Un outil politique du Maroc

Les propos de Nasser Bourita ne lèvent pas le scepticisme entourant le projet de gazoduc : « Son approvisionnement se trouve dans le delta du Niger, une région qui n’est pas sécurisée. Personne n’investira 15 à 20 milliards de dollars dans un tel projet ». Jon Marks, directeur du cabinet londonien African Energy, va plus loin : « ce n’est pas un projet pour la prochaine décennie, et probablement pas pour ce siècle ». Des gisements colossaux de gaz ont été découverts en Mauritanie et au Sénégal, ce qui pourrait pousser le Maroc à revoir ses plans.

Certains observateurs voient dans ce gazoduc une stratégie politique de la part du Maroc qui mène depuis 15 ans une vaste offensive politique en direction du continent africain. Le Royaume cherche à obtenir la neutralité du Nigéria sur la question de son processus d’adhésion à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et sur ce plus brûlante du Sahara occidental. De plus, Rabat cherche à mettre la pression sur l’Algérie en vue des renégociations sur les prix du gaz prévu pour 2020.

Un projet contesté par un collectif d’ONG

Quarante ONG ont manifesté leur opposition au projet de gazoduc. Pour ces organisations, il ne va pas dans le sens du combat contre le réchauffement climatique en supportant l’extraction d’une énergie fossile. De plus, il favoriserait, selon elles, les multinationales au détriment des populations locales. 60 % des nigérians vivent sous le seuil de pauvreté alors que le pays est riche en hydrocarbures. Enfin, elles craignent une explosion du budget de construction et par conséquent du volume de dette des pays concernés.

Dans l’état actuel des choses, les clés du projet sont peut-être à chercher en dehors de l’Afrique et en particulier sur le vieux continent. L’Union européenne, toujours en proie à des tensions énergétiques, pourrait être tenté de diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz naturel en dehors de l’Algérie ou de la Russie. Toutefois, si le gazoduc voit le jour, il pourrait être mal accueilli par Moscou dont il perturberait la stratégie gazière. Malgré la crise ukrainienne, la Russie reste de loin le premier fournisseur de gaz naturel de l’Union européenne.

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