Burundi : vers une nouvelle guerre civile ?

Auteur 2 février 2016 0
Burundi : vers une nouvelle guerre civile ?

Au Burundi, pays enclavé entre la Tanzanie, le Rwanda et la République démocratique du Congo, la situation sécuritaire est désormais alarmante. Depuis avril 2015, on compte plus de 500 morts et 215 000 réfugiés. Le Conseil de sécurité des Nations unies a dépêché une mission spéciale qui s’est rendu à Bujumbura pour faire le point sur l’escalade de violences. Le pays est au bord le a guerre civile mais comment en est-on arrivé là ? Retour sur les faits.

Avril 2015, c’est le début de la campagne pour les présidentielles au Burundi. L’annonce de la candidature controversée du président sortant Pierre Nkurunziza déclenche immédiatement une vague de contestation pacifique.

Les opposants à Nkurunziza dénoncent sa candidature comme étant contraire à la Constitution nationale et à l’accord d’Arusha ayant mis fin à la guerre civile, un conflit qui a fait plus de 300 000 morts entre 1993 et 2005. Des manifestations sont organisées à Bujumbura et sont réprimées dans la violence. Le 13 mai 2015, un coup d’Etat militaire orchestré par l’ancien directeur des services de renseignement, le général Godefroid, avorte[1]. Le 24 juillet 2015, Pierre Nkurunziza est finalement réélu pour un troisième mandat à la présidence du Burundi avec 69,41% des voix face à son adversaire et ancien leader de la rébellion, Agathon Rwasa.

Face à réélection controversée de Pierre Nkurunziza, l’opposition prend les armes

Le 23 décembre 2015, la création d’une force d’opposition unie est officialisée par le lieutenant-colonel Edouard Nshimirimana, ancien officier supérieur en charge du bureau des transmissions à l’Etat-major. Les principaux groupes armés forment désormais les « Forces républicaines du Burundi » (Forebu), dont le but est de « chasser par la force Nkurunziza du pouvoir pour restaurer l’accord d’Arusha et la démocratie ». Parmi les Forebu se trouvent le groupe du général Niyombare, en fuite depuis l’échec du coup d’Etat militaire du 13 mai, et celui d’Alexis Sinduhije, un journaliste très populaire à Bujumbura et possédant le plus important effectif d’hommes armés.

burundi forebu

 

Aggravation des violences : « un bain de sang à huit clos »

Dès le début de la crise, les associations de défense des droits de l’homme et le Haut-Commissariat des Nations unies expriment leurs inquiétudes face aux exactions commises par les membres des forces de l’ordre[2]. Le 12 novembre 2015, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 2248 exhortant le gouvernement burundais à cesser toute force de violence. Toutefois, les exactions atteignent leur paroxysme en décembre.

Le 11 décembre, trois camps miliaires à Bujumbura sont attaqués au petit matin par des insurgés de l’opposition rejoints par des mutins de l’armée qui se sont emparés d’armes et de munitions[3]. Des armes lourdes sont utilisées lors d’affrontements qui durent plusieurs heures et des blindés sont déployés par les forces de l’ordre[4]. Le lendemain, les quartiers de Nyakabiga, Ngagara, Jabe, Mutakura, Cibitoke et Musaga – considérés comme fiefs de l’opposition – sont bouclés par les forces de sécurité[5]. Amnesty International précise qu’au cours des rafles et pillages, des exécutions sommaires ont été perpétrées par les forces de police et que des civils se trouvaient parmi les victimes. Selon la Ligue Burundaise des droits de l’homme (ITEKA) et Fédération Internationale des droits de l’homme (FIDH), depuis cette vague de représailles, 154 personnes sont décédées et environ 150 personnes sont portées disparues.

Muthoni Wanyeki, directrice régionale des Grands Lacs à Amnesty International, commente : « lors de la journée qui a été la plus meurtrière depuis le début des troubles politiques actuels, les rues de Bujumbura ont été jonchées de cadavres de personnes dont beaucoup ont été tuées d’une balle dans la tête. Au moins un des corps retrouvés était ligoté ». Les corps sont enlevés par les autorités locales et déplacés dans les des fosses communes qui se multiplient autour de la capitale[6]. Le 17 décembre, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies exhorte le Haut-Commissariat à déployer le plus rapidement possible une mission d’experts indépendants pour investiguer les exactions commises dans les plus brefs délais[7].

Impuissance la communauté internationale ?

En réaction à cette escalade de violence, le Conseil de paix et de sécurité l’Union Africaine (UA) autorise, le 18 décembre, le déploiement d’une mission africaine de prévention et de protection au Burundi (Maprobu) de 5000 hommes pour 6 mois renouvelables.

Une annonce qui se heurte à un vif refus des autorités burundaises, qui affirme avec véhémence que sans leur accord la Maprobu serait considérée comme « une force d’invasion et d’occupation ». Le 21 décembre, les deux chambres du parlement burundais réunies en congrès extraordinaire rejettent en bloc la décision de l’UA de déployer la Maprobu, précisant qu’il n’y avait pas de génocide en préparation ou en cours, en guise de réponse aux inquiétudes formulées par Nkosazana Dlamini-Zuma, la présidente de l’UA.

Le 28 décembre, le dialogue reprend péniblement à Entebbe entre le parti au pouvoir et le Cnared – alliance regroupant les forces d’opposition politiques et civiles – sous l’égide du président tanzanien John Magufuli désigné par la communauté des Etats d’Afrique de l’Est. La date de reprise des discussions officielles a été fixée au 6 janvier 2015 à Arusha, mais celles-ci n’ont pas lieu en raison des résistances à peine déguisées du gouvernement de Bujumbura.

Le dialogue entre les autorités burundaises et les forces de l’opposition semble être dans l’impasse, alors que le Burundi s’enlise dans une violence qui fait sombrement écho au conflit qui s’est achevé en 2005. Après dix ans de paix fragile, le Burundi est au bord d’une nouvelle guerre civile.

 

[1] Le procès du numéro 2 du putsch, le général Cyrille Ndayirukiye, aux côtés de 27 militaires et policiers impliqués dans la tentative, s’est ouvert le 14 décembre 2015 devant la Cour suprême du Burundi. Il a affirmé lors de son audition du 4 janvier 2016 que la tentative de destitution du président Nkurunziza visait à faire respecter la Constitution du Burundi et l’accord de paix d’Arusha, et a mis en cause Pontien Gaciyubwenge – ministre de la Défense à la date du putsch – et le général Prime Niyongabo – chef l’état-major de l’armée toujours en poste.
[2] Le Haut-Commissariat a salué la création par le procureur général du Burundi d’une commission d’enquête pour des exactions commises à Ngagara le 13 octobre 2015 (lien) Voir le rapport d’enquête de la Fédération Internationale des droits de l’homme et de la Ligue burundaise des droits de l’homme (ITEKA), Éviter l’embrasement au Burundi, mai 2015 (lien)
[3] Le camp de base logistique de Ngagara au nord de la capitale, l’école des officiers burundais – Institut supérieur des cadres militaires à Musaga et le camp du Mujejuru.
[4] Selon le porte-parole de l’armée burundaise, le colonel Gaspard Baratuza interrogé à Bujumbura le 12 décembre, « le bilan final des attaques est de 79 ennemis tués, 45 prisonniers et de 97 armes saisies. De notre côté, huit soldats et policiers ont été tués et 21 blessés ».
[5] Composées des forces de police, des agents de l’Appui à la protection des institutions, de la brigade anti-émeutes du commissaire Désiré Uwamahoro. Les milices Imbonerakure ont également pris part aux représailles.
[6] Des fosses communes ont été identifiées à Ruziba, à Buringa, et dans la province de Bubanza.
[7] Conclusion des travaux de la session extraordinaire consacrée à la situation au Burundi (lien)

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