Il est considéré comme le Che Guevara africain. Thomas Sankara, mort en 1987 dans des circonstances troubles est une figure quasi-légendaire au Burkina-Faso. Aujourd’hui encore, l’influence de Thomas Sankara est très importante sur la société burkinabè. Depuis la chute de son successeur, Blaise Compaoré, « l’Affaire Sankara » refait surface dans le pays et les langues se délient.
28 ans après sa mort, Thomas Sankara a toujours une influence énorme sur la société Burkinabè. La résolution de cette affaire est donc d’autant plus importante qu’elle est attendue depuis près de trois décennies par la majorité du peuple. Pour Sébastien, un expatrié français vivant à Ouagadougou, « l’affaire Sankara c’est quelque chose de très lourd. Même en tant qu’expatrié, on m’en parle beaucoup, tous les Burkinabè sont très politisés et très fiers de leur pays.»
4 coups d’Etat en moins de trois ans
De 1980 à 1987, le Burkina-Faso a été marqué par une période de forte instabilité politique durant laquelle les coups d’Etat se sont succédé. En Novembre 1980, le Colonel Saye Zerbo renverse le président Aboubacar Sangoulé Lamizana qui était au pouvoir depuis 1966. Deux ans plus tard, en novembre 1982, un nouveau putsch a lieu et Zerbo est destitué au profit de Jean-Baptiste Ouédraogo.
Thomas Sankara, son second, devient alors Premier ministre mais est limogé et arrêté en mai 1983. Trois mois plus tard, le 4 août 1983, le Conseil national révolutionnaire chasse Ouédraogo du pouvoir et porte Sankara à la tête du pays. Il s’agit du 4e coup d’état en moins de trois ans dans un pays qui s’appelait encore à l’époque la Haute-Volta.
Burkina-Faso, le pays des hommes intègres
Cela fut d’ailleurs l’une des décisions symboliques de Thomas Sankara, qui un an, jour pour jour après son accession au pouvoir, renomme le pays en Burkina-Faso, le « pays des hommes intègres ». D’orientation marxiste, le nouveau pouvoir abolit le droit féodal que continuaient d’exercer les chefs traditionnels et instaure les comités de défense de la révolution, censé lutter contre la corruption.
Les années Sankara
Le pays entre alors dans une période de développement assez spectaculaire qui verra reculer notamment la malnutrition et l’analphabétisme. « Vieux, jeunes, tous peuvent t’expliquer la genèse de l’histoire, les années Sankara » comme ils disent, rajoute Sébastien. À cette époque ça filait droit, mais tout le monde avait au moins des haricots à manger et s’habillait localement. »
Pourtant, en 1987, un nouveau coup d’Etat a lieu au cours duquel Thomas Sankara perd la vie. Blaise Compaoré, qui était considéré comme le frère de Sankara prend le pouvoir le 15 octobre 1987, lors du « Jeudi noir ». Il engage alors un nouveau mouvement politique, la « Rectification » qui implique notamment une normalisation des relations avec la France. Compaoré restera président jusqu’en octobre 2014 suite à la pression de la rue. En effet, après trois jours de manifestations massives dans tout le pays, Blaise Compaoré démissionne et est exfiltré en Côte d’Ivoire par l’armée française.
Un sujet tabou sous l’ère Compaoré
Durant toute la période de présidence de Compaoré, la mort de Thomas Sankara restera un sujet tabou pour les autorités Burkinabè tandis que l’ancien président accédera au statut d’icône au sein d’une population en quête de jours meilleurs. Ainsi, ce n’est qu’en 2007, soit 20 ans après la mort de son mari que Mariam Sankara, exilée en Europe, aura l’autorisation d’aller se recueillir sur sa tombe.
Les conditions de la mort de Thomas Sankara restent floues et sujettes à caution : annoncé dans un premier temps comme décédé de mort naturelle par un médecin militaire, Thomas Sankara aurait en fait été tué par accident selon Blaise Compaoré, durant le coup d’Etat. Mais pour beaucoup, Compaoré a fait exécuter Sankara. Ainsi, le sénateur libérien Prince Johnson a affirmé, en 2008, que ses hommes avaient participé à l’assassinat de Sankara sur ordre de Compaoré.
Si aucune enquête n’a été menée à bien pour le moment, la France est tout de même soupçonnée d’avoir joué un rôle dans l’exécution de Sankara, celui-ci étant clairement opposé à l’ancienne puissance coloniale. En 2006, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a d’ailleurs rendu une décision historique en condamnant le Burkina-Faso pour entrave à la justice.
Mandat d’arrêt contre Compaoré
Mais la chute de Blaise Compaoré a fait bouger les choses et, en mars 2015, une vraie enquête a été ouverte. Le gouvernement de transition ayant autorisé l’exhumation du corps, a promis de faire toute la lumière sur cette affaire et de traduire les vrais coupables en justice. Le 13 octobre 2015, les premiers rapports d’autopsie ont révélé que Thomas Sankara aurait été « purement et simplement criblé de balles » selon Ambroise Farama, l’avocat de la famille de la victime. Suite à cela, un mandat d’arrêt international a été lancé contre Blaise Compaoré.
Et Sébastien de conclure « les mecs posent même des stickers de Thomas Sankara sur leurs moto. Sankara, Norbert Zongo, ce sont les martyrs du Faso […] la fierté du peuple burkinabè c’est vraiment quelque chose ! ». Et vraisemblablement, le Burkina-Faso a besoin de connaitre la vérité et attend les résultats de cette enquête pour juger les coupables, s’il y en a, et tourner sereinement la page Sankara et repartir de l’avant.