Le coton joue un rôle majeur, voire vital, dans de nombreux pays. Cette fibre végétale, cultivée de longue date sur le continent africain, connait un essor continu depuis le XIXe siècle. Implantée sur tout le continent, cette culture est principalement concentrée en Afrique subsaharienne, et plus particulièrement l’Afrique de l’Ouest. Facteur de dynamisme et de développement économique, la filière cotonnière est néanmoins confrontée à de nombreuses problématiques.
Première fibre textile consommée au monde, la production mondiale de coton, estimée aujourd’hui à 26 millions de tonnes, est essentiellement issue des pays de l’hémisphère nord. Si aucun pays africain n’est en mesure de rivaliser avec les Etats-Unis, l’Inde, et surtout la Chine, l’ensemble de la production cotonnière en Afrique représente tout de même, selon les années, entre 8% et 15% de la production mondiale.
La longue histoire du coton africain
Le véritable essor du coton africain remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle, lorsque les Etats-Unis, alors en pleine guerre de sécession, font appel à la production africaine pour leur approvisionnement en fibre textile. Voyant les opportunités économiques découlant de cette culture, les gouvernements coloniaux vont appliquer les progrès de l’agronomie et de la rationalisation pour développer la production. Dès ce moment, la place réservée au coton ne cessera de s’accroitre, et des efforts particuliers seront alors déployés, notamment en Afrique francophone. Dans les années 1970, la Banque mondiale appuie la production cotonnière par un plan économique volontaire, permettant à cette culture de se pérenniser et de croitre de manière exponentielle.
Genèse d’une fibre
L’Afrique subsaharienne offre des conditions idéales pour ce type de culture, grâce à une alternance entre saison humide et saison sèche, ainsi qu’un ensoleillement idéal. Six mois s’écouleront entre l’ensemencement et la récolte, permettant le reste du temps d’effectuer une rotation avec d’autres cultures, le plus souvent de céréales telles que le mil ou le sorgho. Cette méthode présente l’avantage de ne pas épuiser les sols et d’offrir un apport alimentaire non négligeable. Ce savoir-faire est propre au continent africain, tandis que d’autres pays producteurs privilégient une monoculture intensive. Autre différence : le coton africain est récolté à la main par les agriculteurs, ce qui présente l’avantage d’offrir un produit de meilleure qualité.
Source de devises et d’emplois
En Afrique, 16 millions de personnes vivent de la culture cotonnière, et la production pour l’année 2013-2014 est en hausse. Le Burkina Faso, le Mali, le Tchad et le Bénin sont les principaux producteurs, et le coton est cultivé dans 28 pays du continent. Le poids de cette culture dans l’économie de ces pays peut représenter jusqu’à 10% du PIB, et atteint même 38% du produit intérieur brut du Bénin. L’extension des zones de culture est d’ailleurs révélatrice de l’engouement lié au coton : en moins d’un demi-siècle, les surfaces consacrées à son exploitation ont quadruplé, passant de 800 000 à 3 millions d’hectares, soit 3,5% des terres cultivables d’Afrique de l’Ouest. Les rendements ont, eux aussi, augmenté de manière spectaculaire, passant de 400 kg/hectare au début des années 60, à 1 tonne/an aujourd’hui, en accord avec l’essor de la production mondiale.
Après la « success story »
Depuis leur indépendance, dans les années 1960, jusqu’en 2004, les pays africains producteurs de coton ont connu un développement constant, et la production a même été multipliée par 40. Néanmoins, dès 2004, la plupart de ces pays ont eu à affronter de graves difficultés financières. Devant la baisse des cours, de nombreux agriculteurs se sont désintéressés de cette production, entrainant une nette dégradation de l’économie cotonnière. Malgré cette crise, dont les conséquences se ressentent toujours à l’heure actuelle, la production africaine représente un indéniable succès, que plusieurs facteurs peuvent expliquer. L’alternance des cultures avec d’autres plantations, l’utilisation de variétés de graines particulièrement bien adaptées aux conditions climatiques, mais aussi la présence de structures gouvernementales permettant aux producteurs de bénéficier de conseils, de services, et de systèmes de crédits. De plus, le tissu associatif villageois de mieux en mieux organisé joue aussi un rôle structurant et rassurant.
L’exemple du Burkina Faso
Quel est l’impact de la culture cotonnière sur l’économie d’un pays ? L’exemple du Burkina Faso, premier producteur de coton du continent africain, est révélateur. Pays comptant parmi les plus pauvres au monde (177è rang mondial sur 182 pays, selon l’indice de développement des Nations unies), ne bénéficiant pas d’accès à la mer et pauvre en ressources naturelles, le coton y fait figure de solution miracle tant pour les agriculteurs que pour une économie en berne. Assurant 35% du PIB, la culture du coton fait vivre 18% de la population burkinabaise. Mise en place par l’administration coloniale, développée après l’indépendance, c’est au cours des années 1990 que le secteur a connu une croissance annuelle dépassant les 20%. Le pays peut-il donc compter sur cette ressource pour améliorer son économie ? Indéniablement, le coton contribue à un certain dynamisme et se révèle comme un formidable facteur d’intégration économique. Néanmoins, le prix des intrants, c’est-à-dire des semences et des engrais, augmente constamment et invariablement, tandis que les prix du coton, eux, fluctuent.
Faire face aux difficultés
La production d’ « or blanc » doit affronter de nombreux obstacles. L’un des principaux vient de l’extrême volatilité des cours de cette matière. Si depuis 2002, ces derniers sont à la hausse, la période s’étalant de 1995 à 2001 a connu une baisse de près de 75%. Les producteurs ne bénéficiant d’aucune garantie se sont donc trouvés fortement pénalisés. Autre difficulté : la culture cotonnière est dépendante des exportations, et est donc soumise aux aléas de l’économie mondiale. Ainsi, la crise de la zone euro et le ralentissement de la croissance en Chine, pour ne citer que ces deux exemples, ont fortement perturbé le négoce cotonnier. Le mode de culture peut aussi poser problème : en culture intensive, le sol est irrémédiablement appauvri ; en culture transgénique, les producteurs se voient inféodés aux fournisseurs de graines et doivent débourser de fortes sommes pour acheter les semences. L’instabilité politique de certains pays, tels que le Mali, le Kenya, le Nigéria, ou encore la piraterie dans le golfe de Guinée, entrainent des difficultés pour l’exploitation des cultures et leur exportation. Enfin, l’engouement pour la culture du coton a tendance à rendre des pays entiers tributaires de cette ressource, ce qui n’est pas sans danger face aux fluctuations des cours et de la demande.
Dans la tourmente de la mondialisation
A toutes ces problématiques s’ajoutent deux éléments qui mettent réellement en danger la production africaine, et l’empêchent de prendre un essor encore plus conséquent. L’une des principales est le manque d’usines effectuant une transformation sur place de la précieuse fibre. L’Afrique se voit donc contrainte de vendre son coton brut à des pays tels que la Chine ou l’Inde, pour ensuite racheter à ces derniers la matière textile transformée. Il faudrait, pour sortir de cette situation, une volonté forte à la fois de la part des politiques et des investisseurs, volonté qui, à l’heure actuelle, ne s’est que très peu manifestée. Autre menace pour les producteurs et pour l’industrie cotonnière africaine : l’octroi de fortes subventions par certains pays producteurs, notamment les Etats-Unis, qui ont pour effet de fausser les cours internationaux. Même si le Bénin, le Mali, le Burkina Faso et le Tchad ont officiellement demandé à l’OMC d’intervenir, nul changement allant dans leur sens n’a pour l’heure été effectué.
Le coton africain, produit de grande qualité, reste l’un des plus compétitifs sur le marché mondial. De plus, sa culture apporte de nombreux bénéfices tant aux gouvernements qu’aux producteurs. Mais les grandes incertitudes qui pèsent sur l’économie mondiale, ainsi que les pratiques de certains pays producteurs risquent de mettre en difficulté cette culture séculaire et vitale. Si l’Afrique peut, et doit, opérer des changements d’infrastructure et appuyer une transformation locale du produit, une grande partie de son sort repose sur les décisions de l’OMC et sur l’arrêt de subventions contraires aux règles du commerce international.
C’est une chance pour l’Afrique. La fibre des esclaves devient un trésor d’avenir. Attention néanmoins à la mondialisation.