Coronavirus : vers une poussée de fièvre dans la relation sino-africaine ?

Auteur 13 juin 2020 0
Coronavirus : vers une poussée de fièvre dans la relation sino-africaine ?

Les images ont fait le tour du monde : début avril, alors que la Chine lutte pour endiguer la première vague épidémique, des ressortissants africains vivant dans la province de Guangzhou (Canton) se font violemment expulser de leurs domiciles. Sur la devanture d’un restaurant, une pancarte écrite en mandarin et en anglais précise que l’accès à l’établissement est interdit aux personnes de couleur. Provoquant l’émoi de la communauté africaine, ces témoignages n’ont fait qu’accentuer une défiance envers la Chine déjà présente avant l’apparition du virus. Cela contribuera-t-il à mettre à mal les relations nouées entre l’empire du Milieu et ses partenaires africains ? 

Partenaires de longue date

Si elles ont incontestablement pris une ampleur inégalée au cours des deux dernières décennies, les relations entre la Chine et le continent africain ont pris forme dès les années 1950. Lors de la conférence de Bandung, réunissant un grand nombre de pays non-alignés, la Chine tisse un réseau relationnel qui se montrera fort utile pour son futur immédiat. 

En 1971, la Chine trouve en Afrique des partenaires capables de soutenir son accession à l’ONU au détriment de Taïwan. Grâce au soutien d’une quinzaine de pays africains, la République populaire de Mao obtient sa place par 76 voix contre 35. 

Il faudra néanmoins attendre les années 2000, marquées par l’essor économique remarquable de la Chine et son entrée dans le concert des superpuissances pour que de véritables relations commerciales se nouent entre les deux parties. 

Richesses du monde africain

En acquérant le statut « d’atelier du monde » et afin de soutenir une croissance intérieure inédite dans son histoire, la RPC se tourne vers les richesses du sous-sol africain. Pétrole du Sud Soudan, du Gabon, du Congo ou d’Angola, cuivre en provenance de la R.D.C. et de la Zambie, aluminium de Guinée, uranium de Namibie, plomb, argent, diamants et platine d’Afrique du Sud… autant de ressources indispensables pour alimenter une économie chinoise en plein essor. 

Aux considérations économiques, commerciales et stratégiques s’est rajouté, depuis 2013, un volet géopolitique directement lié aux nouvelles routes de la Soie. Porté à bout de bras par le président Xi Jinping, ce projet visant à créer un vaste réseau de coopération commerciale passe par l’Afrique et requiert la mise en place de nombreux partenariats ainsi que la construction d’un grand nombre d’infrastructures. 

Ports, voies ferrées, autoroutes et usines géantes font partie des réalisations chinoises sur le sol africain, sans oublier, et cela marque une grande première, l’ouverture d’une base militaire à Djibouti. L’Afrique offre aussi de vastes débouchés aux produits chinois et constitue un marché de choix pour les téléphones, véhicules et autres machines-outils estampillés Made in China.

Des milliards prêtés sans conditions

La Chine s’est aussi illustrée par les financements offerts aux pays africains. Tandis que des organismes tels que le FMI ou que des États conditionnent leurs aides financières au respect des droits de l’homme, de la démocratie ou de la transparence financière, la Chine prête quant à elle sans conditions. Peu de pays africains ont résisté aux milliards mis à disposition par les établissements bancaires chinois. De nombreuses infrastructures utiles au développement ont ainsi pu être financées grâce à cet apport. 

Enfin, la superpuissance peaufine son image de marque en Afrique par le biais des 54 instituts Confucius répartis sur le continent et qui sont à la fois des centres d’apprentissage du mandarin et de puissants vecteurs de rayonnement culturel. 

Toxique ou gagnant-gagnant ?

La relation entre la Chine et le continent africain serait-elle donc fondée sur un principe « gagnant-gagnant » ? L’arrivée du coronavirus et la gestion controversée de la Chine, berceau de l’épidémie, a contribué à repenser le caractère de ces échanges. Leurs aspects toxiques n’auront certes pas attendu l’apparition de l’épidémie pour s’afficher au grand jour. Principale pomme de discorde, la dette contractée par certains États s’est montrée particulièrement dangereuse en cas de défaut de paiement. 

Ponctuées de clauses secrètes et opaques, les conditions léonines relatives à ces prêts ont éclaté au grand jour en 2017. Incapable de rembourser les dettes contractées envers la Chine, le Sri Lanka a dû se contraindre à lui abandonner la gestion du port d’Hambantota pour une durée de 99 ans. L’information avait alors suscité de nombreuses critiques en Afrique et dévoilé le revers de la médaille de cet argent coulant à flots.

Méfiance exacerbée

La crise du Covid-19 n’a fait qu’aggraver la méfiance relative à l’influence croissante de la Chine sur le continent. Les images et vidéos des actes de racisme envers les Africains de la province de Canton n’ont pas seulement choqué les citoyens : elles ont aussi suscité la réprobation des dirigeants, qui ont appelé à une meilleure considération de leurs ressortissants. 

Dans la foulée, le Kenya a décidé d’évacuer ses expatriés vivant à Canton, l’Ouganda, le Nigeria et le Ghana convoquant quant à eux les ambassadeurs chinois afin de leur faire part de leurs inquiétudes. D’autres États ont au contraire fait preuve de mansuétude envers la Chine, confirmant la permanence et la solidité des liens qui les unissent.

Inquiétude sur les cours des matières premières

L’autre désillusion concerne la chute des prix du pétrole. Un pays tel que l’Angola constitue un exemple extrême de dépendance vis-à-vis de la Chine : une partie de sa dette est en effet remboursée en matières premières, du pétrole en l’occurrence. La marge de remboursement du pays se trouve donc tributaire du taux du baril, qui, avec la crise, enregistre une chute historique. 

L’Angola doit donc faire face à une situation particulièrement délicate, le plaçant dos au mur face à son créancier. D’autres pays doivent affronter les mêmes conditions de remboursement, les plaçant dans une position fragile et fluctuante en fonction des cours des matières premières.

« Piège de la dette »

La situation de pays en développement contractant un fort endettement préoccupe la Banque Mondiale et le FMI, qui ont tiré la sonnette d’alarme en 2019. Ce « piège de la dette », provoqué par une surabondance de liquidités et qui placerait certains pays en position de surendettement fournit un motif d’inquiétude et constitue un grief envers la Chine. 

En 2017, la dette des pays d’Afrique subsaharienne représentait 45 % de leur PIB, soit une hausse de 40 % en l’espace de seulement trois années. Il devenait urgent pour la Chine de faire cesser ces critiques et de rassurer ses débiteurs. Les modalités de remboursement de la dette devraient être assouplies en fonction de la situation propre à chaque pays

Bien loin de constituer un piège, les fonds prêtés aux pays africains, selon S.E. Li Ll, ambassadeur de la RPC au Maroc, assureront leur développement, principalement grâce au financement de nouvelles infrastructures. Les accusations de racisme envers les ressortissants africains ont elles aussi été temporisées par Pékin qui assure qu’aucun traitement discriminatoire n’a été pratiqué. 

Politique du masque et soft-power

La « politique du masque » mise en œuvre par la Chine, consistant en de nombreuses donations de masques, de tests de dépistage et de matériel médical, a parfois raté sa cible. Jugée insuffisante, la dizaine de millions de masques fournie en grande majorité par Jack Ma, le charismatique patron d’Alibaba, n’a pas encore réussi à faire pencher la balance en faveur de la Chine. 

D’autres efforts seront sans nul doute menés par le gouvernement de Pékin afin de rétablir une image de marque positive. La Chine dispose sur le continent de nombreux leviers pour exercer son soft power : médias, instituts culturels, dons de grandes entreprises et réseaux diplomatiques lui permettront de se défendre des accusations menées à son encontre. 

En cela, la crise du coronavirus ne devrait pas marquer le signal d’un rejet de la Chinafrique, mais plutôt constituer une occasion de rééquilibrer des relations devenues indispensables entre les protagonistes. Le prochain sommet Chine-Afrique qui se tiendra l’année prochaine à Dakar, devrait en cela être crucial à plus d’un titre.

Pour aller plus loin : https://www.contrepoints.org/2018/10/29/328983-presence-chinoise-en-afrique-vers-une-chinafrique 

Photos : ifri.org / lemde.fr / medium.com / radiofrance.fr / fortune.com / Orfonline.org

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